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Violences sexuelles, sidération et stress post-traumatique




Jusqu’à 70% des victimes d’agressions sexuelles n’ont pas pu s’y opposer en raison d’un état de sidération. De quoi s’agit-il ? Entretien avec Eva Zimmermann, psychologue spécialisée en psychothérapie et psychotraumatologie, qui nous parle aussi de l’état de stress post-traumatique consécutif aux violences.


Anesthésiées, déconnectées de leur corps, incapables de réagir, de nombreuses victimes de violences sexuelles témoignent d’un état de sidération pendant l’agression. Comment ce phénomène se produit-il ?

C’est une réaction normale et naturelle des mammifères – dont l’être humain fait partie – face aux menaces. Il existe différentes formes de réactions, consécutives l’une à l’autre. Tout d’abord, un état de figement, au moment où le danger est perçu : ne pas bouger peut nous sauver, car l’on passe inaperçu, avec un peu de chance. Puis, si l’on est repéré et que la menace s’approche, la fuite se présente comme prochaine étape. Si la fuite n’est pas possible ou que l’agresseur nous rattrape, on peut alors se battre pour ne pas se laisser prendre ou, si nos forces faiblissent, si l’agresseur nous frappe également, nous fait (trop) mal ou si l’on doit se battre longtemps, on va se soumettre en se laissant aller, car toute résistance est sans effet.


La sidération est donc la première réaction (la victime ne réagit pas). La victime est toujours prête à fuir ou à se battre s’il le faut, sauf si l’agresseur est d’office trop grand et trop fort. Là, le figement persiste. La deuxième façon de se “préserver” en ne réagissant plus est la dernière : se laisser faire, avec l’espoir que ça passe plus vite et que l’agresseur ne fasse pas plus mal que si l’on se bat.



Une façon de se préserver est de se laisser faire, avec l’espoir que ça passe plus vite et que l’agresseur ne fasse pas plus mal que si l’on se bat. Ne pas bouger est donc une forme de protection aussi, afin de minimiser les dégâts, si la fuite et la lutte ne sont pas possibles.



La révision de la législation sur les infractions sexuelles, adoptée le 7 juin 2022 avec la variante dite du refus (“non, c’est non”), ne tient toujours pas compte de l’état de sidération, qui empêche de très nombreuses victimes d’agression sexuelle d’exprimer leur refus. Pourquoi cette réalité est-elle si difficile à intégrer ?

Il s’agit là de juristes qui ne tiennent pas compte de la réalité, mais des lois, et de politiciens qui, tout comme les juristes, ne comprennent pas les réactions des personnes victimes, avec l’idée erronée qu’il suffit de dire “non” pour que l’agresseur s’arrête.


On sait pourtant que de nombreuses victimes ne peuvent pas dire “non” (ce serait se battre dans le langage de défense) au risque de subir un retour de manivelle, avec un agresseur qui devient violent en plus, donne des coups, essaie d’étrangler, etc. Ne pas bouger est donc une forme de protection aussi, afin de minimiser les dégâts, si la fuite et la lutte ne sont pas possibles.


J’ai eu affaire à des sentences au Tribunal où des agresseurs très violents ont été innocentés parce que la victime n’a pas explicitement dit “non”, alors qu’elle était en réalité trop apeurée (soumise selon la réaction animalière) par une personne qui l’avait maltraitée physiquement auparavant. C’est difficilement compréhensible et acceptable d’un point de vue psychotraumatologique !


Les personnes victimes de violences peuvent manifester des réactions de stress post-traumatique, aussi bien physiques que psychiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les réactions les plus fréquentes sont les réactions de stress post-traumatiques d’intrusions (sous forme de cauchemars, d’images intrusives persistantes de l’événement, etc.), d’évitement (par exemple l’évitement de déclencheurs tels que des lieux, des personnes, des activités, etc.), d’activation neurovégétative (sous forme d’irritabilité, d’hypersensibilité à des stresseurs, de gestion difficile des émotions, etc.) et de changements significatifs des cognitions (visions noires et catastrophiques du monde, des gens, de soi, etc.) et des émotions (dépressions persistantes, idées persistantes de désespoir, de culpabilité, de honte, etc.).


Ces réactions devraient, au meilleur des cas, disparaître après quelques semaines. En effet, au début, ce sont des réactions considérées comme normales et naturelles à des événements hors du commun. Par contre, si elles persistent, on conseille une psychothérapie axée sur les traumatismes, avec des thérapies comme l’EMDR (Eye Movement Dissensitization and Reprocessing Therapy, ou thérapie de retraitement et désensibilisation par mouvement oculaire) ou la TCC (thérapie cognitivo-comportementale).



Les sentences où des agresseurs très violents ont été innocentés parce que la victime n’a pas explicitement dit “non” sont difficilement compréhensibles et acceptables d’un point de vue psychotraumatologique.



Pour des victimes ayant été dans la soumission totale lors de l’agression, il y a généralement une dissociation péri-traumatique (durant le traumatisme) qui s’est produite, qui prend souvent la forme d’une sortie hors du corps. On retrouve fréquemment des récits de personnes qui nous disent que durant l’agression, elles n’étaient plus dans leur corps, mais qu’elles flottaient au plafond, par exemple. C’est ce que l’on appelle une dissociation hors du corps.


Si ce phénomène se produit, en principe, les souffrances post-traumatiques sont plus conséquentes. Des dissociations hors du corps peuvent se produire à d’autres moments de stress : la personne victime se sentira souvent déconnectée de la réalité par exemple, ou ne se sentira plus dans son corps


Quel accompagnement proposez-vous aux personnes victimes de violences, notamment sexuelles ?

La psychothérapie axée sur les traumatismes, typiquement la thérapie EMDR, s’est montrée très efficace dans la prise en charge de personnes victimes d’agressions.



Illustration Elena Medvedeva | iStockPhoto


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