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Soumission chimique : sous le voile de l’inconscience




On parle de soumission chimique pour qualifier l’utilisation délibérée, à l’insu de la personne qui en est victime, de substances altérant sa conscience et son discernement à des fins coercitives, notamment d’abus sexuels. Dans cette interview croisée, Dr Marc Augsburger, Responsable de l’Unité de toxicologie au Centre Universitaire Romand de Médecine Légale (CURML) à Lausanne et l’Inspecteur principal adjoint François Nanchen, chargé de prévention criminalité à la Police cantonale vaudoise, nous aident à comprendre les enjeux médicaux, légaux, mais aussi psychosociaux de ce phénomène.


Quelles sont les substances couramment utilisées dans les cas de soumission chimique liés aux violences sexuelles et quels sont leurs effets ?

Dr Augsburger : Selon les résultats de quelques études scientifiques internationales et notre propre expérience, les substances observées fréquemment dans des cas avérés de soumission chimique sont principalement l’alcool, les benzodiazépines et des substances apparentées. De manière moins fréquente, on observe également d’autres médicaments de type sédatifs, somnifères, antidépresseurs ou neuroleptiques, ainsi que des substances illicites, comme le GHB ou la kétamine. Les effets communs recherchés par le ou les agresseurs sont la perte de conscience, du contrôle de soi et, subsidiairement, la perte de mémoire des événements. Les effets indésirables liés à l’exposition ou à l’intoxication à ces substances qui peuvent survenir sont notamment des nausées, des vomissements, des vertiges, une perte de l’équilibre, une désorientation, des propos confus, de la somnolence, une perte subite de conscience, un black-out, voire un coma.



Certains lieux publics sont équipés de caméras de surveillance dont les images ne sont pas conservées très longtemps. Il faut donc prendre contact rapidement avec la police pour que cette dernière puisse faire conserver les bandes-vidéos.



Si l’on constate ces signes chez une personne ou que l’on a des soupçons, comment agir dans l’immédiat ?

Dr Augsburger : La réaction immédiate est de consulter un médecin ou a minima un poste sanitaire. La santé de la victime prime et nécessite une prise en charge. Lors de cette prise en charge, des prélèvements de sang et d’urine peuvent être envisagés pour objectiver l’exposition à une ou plusieurs substances.

François Nanchen : Une personne qui présente de tels signes lors d’une soirée doit en parler immédiatement à une personne de confiance et lui demander de rester constamment auprès d’elle. Il lui faudra sans délai se rendre dans un poste sanitaire ou à l’hôpital pour une prise en charge, en restant accompagnée. Si l’on constate ces signes chez une autre personne, il faut rester avec elle et l’accompagner dans un poste sanitaire ou à l’hôpital. Par la suite, la victime pourra prendre contact avec la police. Certains lieux publics sont équipés de caméras de surveillance dont les images ne sont pas conservées très longtemps. Il faut donc prendre contact rapidement avec la police pour que cette dernière puisse faire conserver les bandes-vidéos.


Comment les unités de médecine légale peuvent-elles accompagner les victimes de soumission chimique ?

Dr Augsburger : En constatant et en décrivant les faits et les traces de violences de manière exhaustive pour la procédure judiciaire, en orientant la victime dans le réseau d’aide ou de soutien, en identifiant le ou les auteurs des traces biologiques, ainsi qu’en objectivant l’utilisation de psychotropes.

Et les autorités judiciaires ?

François Nanchen : La police prendra les déclarations de la victime et effectuera les investigations subséquentes. Selon les cas, la victime sera dirigée vers la LAVI pour un accompagnement psychologique et juridique.



Il est difficile d’évaluer l’ampleur des cas de soumission chimique en Suisse romande car souvent, les délais entre l’événement et le prélèvement sont trop importants pour pouvoir envisager la mise en évidence de certaines substances dans les échantillons biologiques.



Quelle est l’ampleur du phénomène en Suisse romande ? Beaucoup de cas sont-ils susceptibles de passer sous les radars, notamment en raison du court laps de temps pendant lequel les substances peuvent être détectées ?

Dr Augsburger : Il est difficile d’évaluer l’ampleur des cas de soumission chimique en Suisse romande car souvent, les délais entre l’événement et le prélèvement sont trop importants pour pouvoir envisager la mise en évidence de certaines substances dans les échantillons biologiques, en particulier pour objectiver l’exposition à des psychotropes. Ainsi, un certain nombre de cas peuvent effectivement ne pas être détectés, soit parce que la victime ne consulte pas ou ne s’adresse pas à la police, soit parce qu’il n’y a pas d’éléments suffisants pour pouvoir conclure à une situation de soumission chimique, sans qu’elle puisse être totalement exclue.

François Nanchen : Même réponse que le CURML.


Comment peut-on contribuer, aussi bien collectivement qu’individuellement, à la prévention de la soumission chimique ?

François Nanchen : Individuellement, il faut se montrer vigilant·e, ne jamais laisser son verre sans surveillance, utiliser des « capotes » pour verre et ne pas hésiter à demander de l’aide si on ressent les signes évoqués plus haut. Collectivement, assurer une surveillance réciproque des boissons de ses ami·e·s, être attentifs aux signes d’une intoxication. La pose d’affiches de prévention relatives à la soumission chimique dans les établissements publics (WC, vestiaires) ou à divers emplacements dans les festivals est également à préconiser. Prenons comme exemple la « Procédure Angela » qui est mise en place dans la plupart des grands festivals du canton de Vaud (Paléo, Montreux Jazz, événements organisés par la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes).


Et dans la recherche médicale et la prise en charge des victimes de violences sexuelles en situation de soumission chimique, quels sont les progrès attendus ?

Dr Augsburger : Ces dernières années, des efforts ont été entrepris afin d’améliorer la prise en charge des victimes et la prévention dans les endroits sensibles. Parmi les progrès que l’on peut envisager et attendre, on peut citer la recherche de marqueurs biologiques permettant un dépistage plus long de l’exposition à certaines substances comme le GHB, ou la réalisation de projets de recherche translationnelle entre les différents intervenants afin de pouvoir améliorer la connaissance du phénomène pour permettre des progrès dans la prise en charge et le dépistage des victimes, ainsi que dans la prévention.




DRINK SAFE ! avec la cupote


La cupote (« drink watch » en anglais) est un dispositif anti-intrusion conçu pour prévenir les situations de soumission chimique. Ces petites capotes pour verres agissent comme une barrière physique entre leur contenu et l’environnement extérieur. En offrant une protection supplémentaire contre les tentatives d’altération de la boisson, elles permettent ainsi de renforcer la sécurité là où la vigilance est de mise.


Bien que la cupote ne suffise pas à elle seule à empêcher tout risque d’agression, elle constitue un outil de prévention pratique et utile. En visibilisant la question de la soumission chimique, son utilisation peut par ailleurs contribuer à sensibiliser davantage aux dangers potentiels et encourager à la prudence dans un contexte festif, tout en contribuant, par les discussions qu’elle suscite, à promouvoir une culture du consentement et du respect mutuel.


Vous l’aurez compris, pour passer une bonne soirée en toute sécurité, n’oubliez pas votre cupote, mais surtout, n’oubliez jamais de vous montrer raisonnable et responsable, vis-à-vis de vous-même et des personnes qui vous accompagnent. Une consommation excessive d’alcool peut en effet altérer votre jugement et compromettre votre capacité à reconnaître les signaux d’alerte.



La cupote anti-intrusion (et anti-renversement !) est fabriquée en silicone extensible et s’adapte à tous types de verres rigides. Vous pouvez boire directement à la « tétine » ou y glisser votre paille. Après utilisation, retirez la cupote à l’aide de la languette, rincez à l’eau claire et laissez sécher à l’air. Pour recevoir gratuitement votre cupote en Suisse romande, c’est par ici !



Trois questions à Muriel Golay, directrice du Centre LAVI à Genève

Quel rôle la consommation d’alcool (avec ou sans soumission chimique) et/ou de stupéfiants joue-t-elle dans les situations d’agressions sexuelles que vous rencontrez ?


La population qui consulte le Centre LAVI en lien avec une infraction à l'intégrité sexuelle est majoritairement féminine (plus de 90%) et adulte. Si environ un quart de ces situations concerne des agressions survenues pendant l’enfance, le plus souvent, le contexte des violences sexuelles est celui du couple (ou de l’ex-couple) ou de la famille. L’agresseur peut aussi être un homme de l’entourage proche. La consommation d’alcool ou de substances n’est pas forcément investiguée ; elle n’est toutefois souvent pas présente dans les récits de nos bénéficiaires. Cela dit, il est vrai que dans les cas de violence par un partenaire intime, la consommation voire la dépendance à l’alcool ou aux drogues peut être évoquée en ce qui concerne le partenaire agresseur.


Il est important de préciser que le profil de nos consultantes s’écarte sensiblement de la population ayant consulté les urgences après une agression sexuelle. Nous le savons notamment grâce à une analyse rétrospective des rapports médicolégaux des personnes ayant rapporté une agression sexuelle aux urgences gynéco-obstétricales des HUG et du CHUV entre 2018 et 2021 : sur 740 victimes, sensiblement plus jeunes que nos consultantes, 58% disaient connaître leur agresseur, mais il s’agissait rarement d’un partenaire intime (amis, collègues ou connaissances dans 53% des cas). 63% ont déclaré avoir absorbé des substances, dont 96 ont dit avoir mélangé alcool et drogue. Au Centre LAVI, nous n’avons eu que quelques cas de jeunes filles soupçonnant avoir été droguées à leur insu. Selon les données du Dr Augsburger du CURML (Analyse systématique du GHB dans les échantillons biologiques, janvier 2022), sur leur population, la part du GHB parmi les substances identifiées dans le sang des victimes est toutefois marginale, celles-ci montrant par contre, dans près de la moitié des cas, la présence d’autres substances, en premier lieu l’alcool, cumulé ou non à des substances comme les cannabinoïdes, dans des quantités parfois suffisamment importantes pour expliquer l’amnésie décrite par la victime, ce qui ne justifie naturellement en aucun cas le comportement de l’agresseur.



Les jeunes filles qui nous consultent suite à une agression sexuelle par un jeune homme de leur connaissance dans le contexte d’une soirée racontent souvent avoir subi une pénétration alors qu’elles étaient endormies, sous l’effet de l’alcool ou non, ou qu’elles étaient dans un état d’engourdissement tel qu’elles n’arrivaient plus à réagir.



Que pensez-vous de la cupote en tant qu’outil de prévention des violences sexuelles « en soirée » ?


Je trouve que ces cupotes permettent de thématiser ces questions et ont l’avantage, sur le plan psychologique, de permettre de se sentir plus en sécurité. Sous cet angle, je m’étonne d’ailleurs qu’elles ne soient pas plus répandues. Elles pourraient être disponibles dans les boîtes de nuit par exemple. Cela étant, au vu des données que j’ai détaillées précédemment, je plaiderais avant tout pour que la consommation d’alcool et de substances en général fasse l’objet de plus de campagnes de prévention vis-à-vis des jeunes, en incluant les risques liés aux violences sexuelles.


Quel message de prévention souhaitez-vous adresser aux personnes qui font la fête ?


De manière générale, je trouverais fondamental que nos jeunes puissent être mieux éduqué·e·s sur la question du consentement. Concernant les jeunes filles qui nous consultent suite à une agression sexuelle par un jeune homme de leur connaissance dans le contexte d’une soirée, elles racontent souvent avoir subi une pénétration alors qu’elles étaient endormies, sous l’effet de l’alcool ou non, ou qu’elles étaient dans un état d’engourdissement tel qu’elles n’arrivaient plus à réagir. Mener des discussions avec les garçons comme les filles sur le sujet du consentement me semblerait aussi très important pour éviter de s’adresser aux seules victimes potentielles, et viser également le comportement des auteurs.




Illustrations Jorm Sangsorn, Astarot | iStockPhoto • VPS – Cupote



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