Accusations mensongères, mythe ou réalité ?
- victimepasseule
- 30 juin
- 11 min de lecture

La question des accusations mensongères soulève beaucoup de peurs, de préjugés… et de fantasmes. On entend par exemple que « des femmes frustrées ou en colère accusent des hommes de viol pour se venger ». Ce cliché alimente l’idée que ce type de dénonciation serait courant. Dans les faits, ces situations sont rares. Mais quand elles existent, elles peuvent entraîner des conséquences lourdes pour les personnes concernées. Car être accusé·e à tort, c’est aussi une forme de violence. Alors, comment les identifier ? Que font les autorités ? Et que risque la personne qui accuse à tort ? François Nanchen, inspecteur principal adjoint, chargé de prévention criminalité à la Police cantonale vaudoise et eCop, nous éclaire.
Quand une personne porte plainte pour violences sexuelles ou conjugales, comment les forces de l’ordre accueillent et recueillent-elles la parole ?
Quand une personne vient déposer plainte, elle est accueillie avec bienveillance. Nous l’écoutons sur les faits et, même si cela peut être éprouvant, nous devons recueillir un maximum de détails. C’est souvent ce qui surprend ou bouscule les victimes : les auditions sont longues, parfois difficiles, parce que nous leur demandons de revenir en détail sur des faits intimes ou violents.
Pour les adultes, il s’agit d’auditions retranscrites par écrit sur le moment, qui peuvent donc durer longtemps. Notre mission est d’obtenir des éléments aussi précis que possible. Pour les mineur·e·s, les auditions se font en vidéo, dans un cadre protégé, pour éviter à l’enfant de devoir répéter son récit.
Selon la situation, la personne peut être entendue immédiatement ou sur rendez-vous. Si les faits se sont produits récemment — dans les heures ou les jours précédents — nous orientons d’abord la victime vers un hôpital pour une prise en charge médicale. Cela permet aussi de constater d’éventuelles blessures et de préserver des preuves. Ensuite, nous fixons un rendez-vous pour la plainte. Lorsque les faits sont plus anciens, l’audition se fait directement sur rendez-vous.
Il arrive que des personnes se présentent spontanément dans un poste de Police ou de Gendarmerie, mais elles ne peuvent pas toujours être entendues tout de suite. Ce sont des enquêteurs et enquêtrices spécialisés, au sein de la brigade des mœurs, qui doivent prendre en charge ce type de plaintes. Il faut donc fixer un rendez-vous, car ces spécialistes ne sont pas forcément disponibles immédiatement.
Quand une personne porte plainte, nous partons du principe qu’elle dit la vérité. Le ou la fonctionnaire de Police recueille sa déclaration avec sérieux et précision. L’auteur·e présumé·e a également le droit d’être entendu·e. Nous menons toujours l’enquête à charge et à décharge, sans a priori. Nous ne croyons pas aveuglément, mais nous ne doutons pas systématiquement non plus. Et de toute façon, ce n’est pas notre rôle : notre mission est d’enquêter, de recueillir les témoignages et de rassembler les preuves matérielles.
La Police ne peut en aucun cas refuser de prendre une plainte, ni chercher à dissuader une personne de la déposer. En revanche, il est important d’informer sur les conséquences possibles — non pas pour décourager, mais pour que la personne puisse décider en pleine conscience. Par exemple, si les faits décrits ne relèvent pas du droit pénal, nous le signalons à la personne. Mais si elle souhaite malgré tout déposer plainte, nous la prenons. Ce sera ensuite au Ministère public de décider s’il y a lieu de prononcer une non-entrée en matière.
Il arrive aussi qu’une personne revienne plus tard en disant : « Si j’avais su tout ce que cela allait impliquer, je ne l’aurais peut-être pas fait. » C’est pour cette raison que nous essayons toujours d’expliquer clairement, dès le départ, ce qu’une plainte implique, pour que les personnes ne soient pas prises au dépourvu.
En cas de violences conjugales, la Police peut aussi prononcer immédiatement une mesure d’éloignement de la personne auteure présumée. Cette exclusion du domicile dure généralement 30 jours. Le but est de protéger la victime, ainsi que les enfants s’il y en a.
Une situation que nous rencontrons, hélas, de manière non exceptionnelle, est celle des enfants instrumentalisé·e·s, notamment dans des contextes de divorce ou de séparation conflictuels.
À partir de quels éléments commence-t-on à douter de la véracité d’un récit ? Comment réagissez-vous dans ce cas ?
Il peut arriver que les faits racontés semblent invraisemblables ou matériellement impossibles. Dans ces cas-là, nous demandons des précisions. Parfois, cela conduit à des changements de version, ce qui nous pousse à creuser davantage. Nous poursuivons l’enquête comme dans tout autre cas, avec les mêmes moyens : relevés de traces, visionnage d’images de vidéosurveillance, recherches techniques… Que nous ayons ou non des doutes, notre rôle est d’explorer toutes les pistes et de refermer progressivement des portes, pour nous rapprocher autant que possible de la vérité.
Même quand un récit paraît très invraisemblable ou fantaisiste, nous faisons notre travail avec le même soin. Il nous arrive de nous dire « c’est quand même étrange… », mais tant que les éléments sont là, nous avançons.
Une situation que nous rencontrons, hélas, de manière non exceptionnelle, est celle des enfants instrumentalisé·e·s, notamment dans des contextes de divorce ou de séparation conflictuels. Parfois, la mère manipule l’enfant pour qu’il ou elle accuse son père, avec l’objectif d’obtenir la garde. Pendant toute la durée de l’enquête, le père peut être écarté : il n’a plus accès à son enfant ou alors uniquement sous surveillance, par exemple dans des points de rencontre. Parfois encore, il s’agit d’une forme d’aliénation parentale, où la mère — souvent en relation très fusionnelle avec l’enfant — va questionner son enfant après chaque week-end chez le père et interpréter des gestes anodins (par exemple liés à l’hygiène) comme des abus. C’est presque une forme de trouble psychique.
Dans ces cas-là, les questions posées à l’enfant par sa mère sont souvent dirigées et l’enfant, par loyauté ou par envie de faire plaisir à l’adulte, va répondre dans le sens attendu. C’est précisément pour éviter cela que les auditions avec les mineur·e·s se font en vidéo, avec des questions complètement ouvertes. Nous discutons avec l’enfant : s’il ou elle n’aborde pas spontanément le sujet, nous ne le soulevons pas.
Il existe aussi des cas particuliers, comme les personnes quérulentes (qui multiplient de manière obsessionnelle et souvent infondée les plaintes ou recours, convaincues d’être victimes d’injustices). Ce sont des individus qui viennent très régulièrement à la Police pour déclarer diverses infractions à leur encontre, souvent sans donner de nom d’auteur·e. Cela peut être lié à une forme de besoin de reconnaissance ou d’attention, ou parfois à des troubles psychiques. Même dans ces situations, nous les recevons, nous les écoutons et, si l’événement dénoncé est récent, nous les orientons vers l’hôpital pour un examen, comme toute autre personne.
Des expertises de crédibilité sont parfois demandées. Dans quels cas cela se produit-il et que cela implique-t-il pour la victime ?
Dans certaines procédures — notamment lorsqu’il s’agit de mineur·e·s —, il arrive que les avocat·e·s de la partie adverse demandent une expertise de crédibilité. Cela implique que l’enfant soit réentendu·e, ce qui est toujours délicat, car les auditions vidéo sont justement conçues pour que la victime ne doive pas revivre les faits à plusieurs reprises.
Ces nouvelles auditions peuvent avoir lieu si les avocat·e·s ont des questions très ciblées ou si des expertises psychologiques sont demandées pour évaluer la crédibilité du récit. Ces expertises ne sont pas toujours menées dans les locaux de la Police.
Quelles sont les étapes si la Justice soupçonne une dénonciation mensongère ?
Lorsque la Justice soupçonne qu’une plainte est mensongère, elle peut décider de ne pas entrer en matière et classer l’affaire sans suite. Il n’y a alors pas de jugement, ni contre la personne accusée, ni contre la personne plaignante. Cela peut arriver lorsque le Ministère public estime que les faits rapportés ne sont pas crédibles ou que certains éléments laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une dénonciation calomnieuse. Dans tous les cas, ces décisions ne sont pas prises à la légère : la chambre des recours pénale, une autorité de surveillance, analyse systématiquement chaque classement ou décision de non-entrée en matière.
Mais s’il existe des indices clairs que la personne a déposé plainte de manière consciente et volontairement mensongère, le Ministère public peut aussi ouvrir une procédure à son encontre pour dénonciation calomnieuse — et cela, même sans plainte de la personne accusée à tort.
Dans certains cas, une procédure pour induction de la justice en erreur peut également être envisagée, notamment lorsque les déclarations mensongères ont entraîné des investigations inutiles et mobilisé les ressources judiciaires à tort.
Concernant les situations d’aliénation parentale, des mesures administratives peuvent s’appliquer. Si l’enfant est instrumentalisé·e ou exposé·e à un climat délétère, la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ, dans le canton de Vaud) peut être saisie. Elle peut intervenir en ordonnant, par exemple, une évaluation familiale, une médiation, voire un placement temporaire si l’environnement est jugé trop toxique pour l’enfant. Ces décisions ne relèvent pas du pénal, mais elles visent à protéger l’enfant tout en évaluant les comportements des parents.
Par ailleurs, la personne accusée à tort peut elle-même déposer plainte, notamment pour diffamation ou calomnie, si elle estime avoir été injustement visée.
Quelle est la différence entre dénonciation calomnieuse, diffamation et faux témoignage ?
On parle de dénonciation calomnieuse (ou de calomnie) lorsqu’une personne accuse une autre de manière mensongère, en sachant que c’est faux et dans l’intention de lui nuire.
La diffamation est un cas un peu différent : elle consiste à tenir des propos qui portent atteinte à la réputation de quelqu’un, mais sans nécessairement avoir conscience qu’ils sont faux. La personne pense parfois dire la vérité, mais ses propos sont infondés ou non vérifiables, et ils causent du tort.
Le faux témoignage, quant à lui, concerne un·e témoin qui ment intentionnellement lors d’une procédure judiciaire. C’est une infraction distincte.
Dans les faits, même lorsqu’elle est blanchie, une personne accusée à tort reste durablement marquée. Elle est une victime à part entière, parfois avec des séquelles profondes, surtout si les faits ont été rendus publics sur les réseaux sociaux. Une simple recherche Google peut alors suffire à raviver l’affaire. Les conséquences peuvent être dévastatrices… et à vie.
Socialement, professionnellement, juridiquement : quelles sont les conséquences concrètes pour une personne accusée à tort ?
Chaque situation est différente, mais les conséquences peuvent être très lourdes. Si les éléments recueillis paraissent crédibles — ce qui est souvent le cas, même quand l’accusation est mensongère —, la personne mise en cause peut être placée en détention provisoire. Cela entraîne bien souvent une perte d’emploi, un isolement social… Et même si la procédure se conclut par un classement, un non-lieu ou un acquittement, il reste presque toujours un doute, un soupçon qui s’accroche : « la Justice n’a juste pas pu le prouver ». On se remet difficilement de ce genre d’accusation.
Lorsqu’il s’agit d’une personne en contact avec des enfants, par exemple un·e enseignant·e ou un·e professionnel·le du secteur social, une suspension peut être décidée de manière préventive, dès les premières étapes de l’enquête. Même si la personne est ensuite réintégrée après une décision judiciaire en sa faveur, le doute subsiste souvent dans l’esprit des gens.
Il n’existe pas de mécanisme officiel de « réhabilitation », à part la décision de Justice elle-même (une ordonnance de classement ou de non-lieu bien étayée). Et si la personne qui a porté plainte est finalement condamnée pour diffamation ou dénonciation calomnieuse, celle qui a été accusée à tort reçoit une ordonnance de condamnation qu’elle peut produire auprès de son employeur.
Mais dans les faits, même lorsqu’elle est blanchie, une personne accusée à tort reste durablement marquée. Elle est une victime à part entière, parfois avec des séquelles profondes, surtout si les faits ont été rendus publics sur les réseaux sociaux. Une simple recherche Google peut alors suffire à raviver l’affaire. Les conséquences peuvent être dévastatrices… et à vie.
Y a-t-il des dispositifs de soutien pour ces personnes ?
Oui, dans certains cas, les personnes accusées à tort peuvent bénéficier du soutien de la LAVI, notamment si la situation engendre un grave dommage psychique (par exemple un effondrement émotionnel, un arrêt de travail ou des pensées suicidaires). Il faut que la souffrance soit considérée comme un dommage sérieux. La personne peut contacter un centre LAVI pour exposer sa situation : si l’aide entre dans le cadre de la loi, elle sera prise en charge ; sinon, le centre pourra proposer une réorientation vers d’autres structures adaptées.
Il existe aussi des associations de soutien, en particulier pour les hommes dans des situations de conflits familiaux ou de fausses accusations, comme la MPEJ ou la CROP, qui proposent conseils, accompagnement et conférences.
Avez-vous des chiffres en Suisse sur les cas de fausses accusations avérées ? Est-ce fréquent ?
Les fausses accusations délibérées, c’est-à-dire faites dans le but conscient de nuire ou de se venger, sont extrêmement rares. Il est donc important de rappeler que si ce phénomène existe, il reste très marginal.
Les cas d’aliénation parentale sont en revanche plus courants. Il ne s’agit pas toujours d’un acte conscient ou volontaire : parfois, la mère (ou le père, plus rarement) agit sous l’effet de ses propres blessures, de sa colère ou d’une relation fusionnelle avec l’enfant, sans en percevoir pleinement les enjeux.
Est-ce que vous avez l’impression que ce sujet est surreprésenté dans l’espace public, par rapport à la réalité des faits ?
Je n’ai pas le sentiment que les gens en parlent tant que ça, en tout cas pas dans le débat public. Mais sur le terrain, je remarque que c’est une inquiétude importante, notamment chez les hommes. Une crainte fréquente, par exemple, est celle d’avoir une relation sexuelle un soir de fête ou en contexte d’alcoolisation et que la partenaire porte plainte ensuite, alors que l’homme pensait sincèrement que tout allait bien. Certains ironisent en disant qu’il faudra bientôt faire signer un formulaire de consentement. Cette remarque, souvent lancée sur le ton de la plaisanterie, reflète pourtant une réelle inquiétude et un sentiment d’impuissance.
Ce genre de situation est compliqué pour tout le monde. Quand les deux ont bu, le discernement est altéré des deux côtés. En raison du déséquilibre dans le rapport de force (physique), la femme peut avoir l’impression qu’elle n’a pas consenti à un acte ou qu’elle s’est laissée faire par peur d’une réaction violente de la part du partenaire. Ce dernier peut ne pas du tout s’en rendre compte. Dans certains cas, il y a dépôt de plainte, puis enquête, mais l’affaire peut être classée faute d’éléments. Ce n’est pas forcément une fausse accusation au sens juridique, mais une incompréhension mutuelle de la situation.
C’est aussi pour cela que je fais de la prévention, notamment auprès des jeunes. Je leur dis : « Avant de passer à l’acte, demandez ! Soyez sûrs que l’autre est partant·e ! Restez attentifs à votre partenaire et n’agissez pas dans l’ambiguïté ! Et ce n’est pas parce que votre partenaire a consenti à tel acte qu’elle sera OK pour d’autres. » Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas toujours intégré dans les pratiques.
Il me semble important de souligner la nécessité de rester vigilant·e face à sa propre consommation d’alcool. Faire preuve de modération, tant pour soi-même que pour les personnes qui nous entourent, contribue à préserver un cadre plus sûr. Une consommation excessive peut altérer la perception, affaiblir le discernement et compliquer la capacité à reconnaître une situation à risque.
Plus généralement, est-ce que la présomption d’innocence peut être perçue comme un frein à la reconnaissance de la parole des victimes ? Comment éviter cela ?
La présomption d’innocence est un principe fondamental de notre droit : le doute profite à la personne accusée. Mais ce principe peut, dans certains cas, être mal perçu par les victimes, surtout lorsqu’elles ont le sentiment qu’il rend leur parole inaudible, notamment en l’absence de preuves matérielles, comme c’est souvent le cas pour des agressions commises à huis clos.
Certaines victimes renoncent ainsi à porter plainte, convaincues que ce sera peine perdue. C’est pourquoi l’accueil réservé par la Police est essentiel : bienveillance, écoute, empathie, explication du cadre légal. Ce sont là des éléments qui permettent de poser les bases d’une prise en charge respectueuse et constructive.
Le message que nous essayons de faire passer est clair : même si l’issue judiciaire n’est pas toujours une condamnation, le simple fait d’être entendue comme victime et reconnue comme telle dans un cadre officiel peut déjà constituer une première étape importante sur le chemin de la reconstruction.
Que diriez-vous à une personne accusée à tort, qui se sent détruite par ce qu’elle a vécu ?
Ce sont des situations extrêmement douloureuses et j’ai beaucoup de compassion pour les personnes qui les vivent. Se retrouver accusé·e à tort peut avoir des conséquences profondes, sur le plan personnel, professionnel et psychologique. Il ne faut pas rester seul·e face à cela : chercher du soutien, se tourner vers des associations, parler avec d’autres personnes qui ont traversé des épreuves similaires, peut aider à dénouer les émotions, à comprendre ce qui s’est passé et à trouver un chemin pour avancer.
Pour conclure, quel message souhaitez-vous transmettre aux personnes qui nous lisent ?
Je souhaite rappeler que dans de nombreux cas de soumission chimique, l’alcool est la substance la plus fréquemment en cause. Sans minimiser la gravité des actes commis ni culpabiliser les victimes, il me semble important de souligner la nécessité de rester vigilant·e face à sa propre consommation d’alcool. Faire preuve de modération, tant pour soi-même que pour les personnes qui nous entourent, contribue à préserver un cadre plus sûr. Une consommation excessive peut altérer la perception, affaiblir le discernement et compliquer la capacité à reconnaître une situation à risque.