Quand la Justice ne peut rien : survivre aux violences qui restent impunies
- victimepasseule
- 20 juin
- 25 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 juin

En Suisse, de nombreuses victimes de violences se heurtent à une réalité douloureuse : malgré leur souffrance et l’impact des actes subis, certaines formes de violences restent sans réponse judiciaire. Le harcèlement, les violences psychologiques, les agressions sexuelles sans preuves matérielles suffisantes… autant de situations où la reconnaissance et la réparation sont parfois hors de portée.
Si le système judiciaire repose sur la présomption d’innocence et l’exigence de preuves concrètes, ces principes fondamentaux peuvent parfois laisser les victimes dans une grande détresse. Lorsqu’une plainte est classée sans suite ou qu’un procès n’aboutit pas à une condamnation, la victime peut avoir le sentiment d’être oubliée, de ne pas être crue, de ne pas voir sa douleur reconnue. Pourtant, cette absence de condamnation ne signifie pas que la violence n’a pas existé.
Cet article explore les limites du cadre légal, la frustration et le sentiment d’injustice qu’il engendre pour les personnes qui ont subi des violences restées impunies et les solutions qui existent pour se reconstruire autrement. À travers les témoignages de victimes, mais aussi des professionnel·le·s qui les accompagnent, nous verrons comment il est possible de se reconstruire, même sans reconnaissance judiciaire.
Les violences qui ne rentrent dans aucune case
Certaines violences échappent encore à la reconnaissance institutionnelle, non pas parce qu’elles sont moins graves ou moins destructrices, mais parce qu’elles ne répondent pas aux critères strictement définis par le droit pénal. Le harcèlement psychologique, le harcèlement de rue, les comportements de surveillance, les manipulations affectives dans les relations intimes, la violence économique… Ces formes de violences sont souvent vécues dans le silence, parfois pendant des mois ou des années, sans qu’elles puissent être clairement identifiées comme une infraction.
Le problème est double : d’un côté, la loi nécessite des éléments concrets, des faits objectivement qualifiables, et de l’autre, les comportements violents sont souvent dilués dans des interactions complexes, ambiguës ou insidieuses. Ils laissent rarement des traces visibles. En conséquence, une grande partie de ce que vivent les victimes ne « rentre dans aucune case » légale. Cela ne signifie pas que la société cautionne ces comportements, mais qu’elle n’a pas encore su les définir juridiquement de façon satisfaisante.
Ces situations peuvent générer une profonde souffrance chez les victimes, d’autant plus lorsqu’elles tentent d’obtenir de l’aide ou de faire valoir leurs droits. Il n’est pas rare que la réponse institutionnelle soit désarmée, limitée à un constat d’impuissance : elle comprend la situation, mais ne peut pas intervenir à ce stade.
« Il est important que la victime qui demande de l’aide et des conseils auprès de la Police se sente écoutée, comprise et rassurée. À mes yeux, il n’est pas possible de répondre à une victime que l’on ne peut rien faire pour elle. (…) Notre but est de faire en sorte que la victime puisse avoir toutes les cartes en main sur ce qui est possible de faire ou pas. Au-delà de l’écoute, il est aussi très important d’identifier, dès le départ, ce que souhaite la victime. »
– Extrait de l’interview d’Albane Bruigom, inspectrice principale à la Police judiciaire de Lausanne, cheffe de l’Unité spéciale pour la prise en charge des victimes (USPV), à retrouver ci-dessous.
Le fardeau de la preuve : entre garanties fondamentales et impasses vécues
Le système judiciaire suisse repose sur des principes essentiels : la présomption d’innocence, l’exigence de preuves, l’interdiction de condamner sans fondement objectif. Ces piliers protègent tou·te·s les justiciables et sont garants d’une société démocratique.
Mais pour les victimes de violences, ces garanties peuvent être perçues comme des obstacles. En particulier dans les affaires d’agressions sexuelles ou de violences conjugales, où la parole de la victime est souvent isolée, confrontée à un déni, sans témoin, sans trace matérielle. Une plainte peut alors être classée pour « absence de preuve suffisante », sans même atteindre l’étape du jugement.
Ce classement est souvent mal compris. Il ne signifie pas que la plainte est mensongère ou infondée. Il signifie simplement que le cadre juridique actuel ne permet pas, à ce stade, de démontrer l’infraction au-delà du doute raisonnable. Mais pour la victime, le résultat est le même : l’affaire est close, sans reconnaissance officielle de ce qui a été vécu.
Dans cette situation, de nombreuses personnes ressentent une forme d’injustice ou de négation. Elles peuvent se questionner : « Pourquoi parler, si cela ne sert à rien ? », « Pourquoi me confronter à l’institution, si c’est pour être renvoyée à l’absence de preuve ? ». La douleur n’est pas seulement liée à la violence subie, mais aussi à l’absence de réponse. Et cette absence peut devenir une nouvelle blessure.
« Reconnaître les viols que j’ai subis a été un parcours long et douloureux. Mais le plus difficile, ça a été de les faire reconnaître par la justice. Comme cela s’est passé à huis clos, sans témoin ni preuve matérielle, tout reposait sur ma parole. Et sur la sienne. Je savais que le doute profiterait à l’accusé. Mais au fond de moi, j’avais peur qu’un non-lieu soit interprété comme un désaveu, comme si la justice ne me croyait pas. Cela aurait été une forme de seconde violence.
Finalement, il n’y a pas eu de condamnation. Pourtant, j’ai senti que le procureur m’avait crue. Presque comme s’il était désolé de ne pas pouvoir aller plus loin. Ça m’a fait du bien. J’ai compris qu’il y avait une différence entre la vérité judiciaire — ou l’absence de conclusion judiciaire — et LA vérité. C’est surtout en thérapie que j’ai pu faire la paix avec ce que j’avais vécu. Et avec moi-même.
Aujourd’hui, je réfléchis à entamer un processus de justice restaurative. Parce que même si je n’ai pas obtenu de verdict, j’ai encore besoin de sens. Et de réparation. »
– Témoignage d’une victime de violences
Une législation en mouvement
Le droit suisse n’est pas figé. Il évolue au fil des prises de conscience sociales, des mobilisations citoyennes, des expériences des professionnel·le·s de terrain et des lacunes révélées par certains cas concrets. Il s’efforce de s’adapter à la complexité des violences actuelles.
C’est dans cet esprit que le Conseil fédéral a récemment proposé d’introduire une nouvelle infraction dans le Code pénal : celle de harcèlement obsessionnel, plus connu sous le nom de stalking. Il vise à combler un vide juridique important : jusqu’ici, les comportements répétés d’intrusion, de surveillance ou de contact non désiré ne sont sanctionnés que s’ils atteignent le seuil d’une autre infraction déjà existante (menace, contrainte, injure, etc.).
Le texte adopté* reconnaît désormais que la répétition de ces actes, même s’ils sont anodins pris isolément, peut constituer une forme de violence grave. L’objectif est de pouvoir intervenir plus tôt, avant que la situation ne dégénère, et d’offrir une réponse pénale adaptée à des formes de harcèlement que les victimes vivaient jusque-là dans une relative impunité.
Ce projet reflète une volonté institutionnelle de renforcer la protection des personnes, même si ces adaptations demandent du temps et des efforts politiques.
En attendant, il est crucial d’accompagner ces situations avec tact et clarté : reconnaître la souffrance, expliquer les limites du système sans culpabiliser la victime et orienter vers d’autres formes de reconnaissance.
* 1 Quiconque, obstinément, traque, importune ou menace une personne d’une manière propre à l’entraver considérablement dans la libre détermination de sa façon de vivre, est, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Accompagner autrement
Les professionnel·le·s de terrain le savent : une victime peut sortir profondément meurtrie d’un processus judiciaire, même lorsque tout a été fait « dans les règles ». Parce que ce qu’elle attendait, au fond, ce n’était pas forcément une condamnation, mais une reconnaissance. Un « oui, cela s’est passé ». Un regard, une écoute, une validation.
Dans ces cas-là, le rôle des services de soutien est fondamental. La LAVI (Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions) offre un accompagnement psychologique, social et juridique même lorsqu’une plainte n’aboutit pas ou n’est pas déposée. Le lien entre procédure pénale et soutien à la victime n’est pas automatique. Être reconnu·e comme victime par la LAVI ne dépend pas d’un jugement, mais d’une évaluation effectuée par le Centre LAVI, dont les critères d’analyse sont plus favorables à la victime. Il suffit notamment que les faits rapportés soient jugés vraisemblables pour permettre l’accès à une aide concrète et immédiate.
« Avant même de déposer plainte, j’ai été reçue par une personne du centre LAVI. C’était la première fois que j’en parlais « officiellement ». J’avais encore trop peur de franchir le pas, mais j’avais besoin d’être entendue. Cette personne m’a accueillie avec bienveillance, sans jugement. Elle m’a reconnue en tant que victime, simplement sur la base de mon témoignage et des éléments que j’ai pu lui montrer. Rien que cela m’a fait énormément de bien. J’ai senti que ce que j’avais vécu était pris au sérieux, que ma parole comptait, qu’on me croyait. Son accompagnement a été précieux pour la suite. Grâce à elle, j’ai pu avancer à mon rythme, en me sentant soutenue. »
– Témoignage d’une victime de violences
« Il est important de relever l’importance symbolique que revêt le droit pénal et sa bonne application pour les citoyen·ne·s, dans leur sentiment de justice, de sécurité et de respect de l’ordre public. Pour cette raison, le sentiment de ne pas avoir été reconnu·e ou, pire, de ne pas avoir été respecté·e pendant la procédure pénale peut générer beaucoup de colère et de révolte, et bien sûr une grande perte de confiance vis à vis des autorités. Au contraire, le simple fait d’avoir été entendu·e et traité·e avec respect par ces dernières a déjà un impact très favorable sur le sentiment de reconnaissance de la personne victime. (...) S’agissant de notre travail au Centre LAVI, contrairement aux autorités pénales, notre rôle n’est pas d’instruire à charge et à décharge. Nous pouvons donc écouter et valider le vécu de la personne victime, ce qui permet de répondre à son besoin d’être crue et entendue, et favorise naturellement le lien de confiance avec nous. »
– Extrait de l’interview de Muriel Golay, directrice du Centre LAVI Genève, à retrouver ci-dessous.
La Police, de son côté, est souvent la première interlocutrice. Ses agent·e·s sont confronté·e·s à cette tension : entendre la parole d’une victime tout en sachant que la réponse judiciaire sera peut-être impossible. Leurs marges de manœuvre sont étroites, mais leur rôle relationnel, leur capacité à orienter et à rassurer, peuvent faire une différence cruciale.
Le rôle essentiel de l’accompagnement thérapeutique
Lorsque la Justice ne peut reconnaître ni sanctionner la violence subie, un vide se crée. Pour la victime, ce vide n’est pas seulement juridique : il est aussi émotionnel, identitaire, relationnel. La souffrance ne disparaît pas avec la fin de la procédure. Elle peut même s’aggraver, nourrie par le sentiment d’avoir été abandonnée ou réduite au silence.
Dans ce contexte, un accompagnement thérapeutique devient une ressource centrale. Il offre un espace de parole où la victime peut déposer son vécu, sans avoir à « prouver », à « convaincre » ou à entrer dans une logique de procédure. C’est un lieu où l’on peut être cru·e sans condition. Un lieu où l’on peut, enfin, parler de ce que cela fait à l’intérieur.
Le suivi thérapeutique permet notamment :
d’identifier et de nommer les violences subies, même lorsqu’elles ne sont pas reconnues pénalement,
de comprendre les mécanismes de l’emprise, de la honte ou de la culpabilité,
de restaurer l’estime de soi, souvent atteinte par l’absence de reconnaissance extérieure,
de reprendre du pouvoir sur son récit, son corps, ses émotions,
et parfois, simplement, d’apprendre à vivre avec ce qui ne sera jamais « réparé » par la Justice.
Certaines personnes trouvent un appui dans un suivi psychologique individuel, d’autres dans des groupes de parole, dans des approches corporelles ou créatives, ou encore dans des pratiques thérapeutiques plus spécifiques liées aux traumatismes (EMDR, psychotraumatologie, etc.).
« J’ai déposé ma plainte en septembre 2020, ayant trouvé le courage et le soutien nécessaire environ un an et demi après l’agression. Aujourd’hui, en avril 2025, la procédure judiciaire est toujours en cours. Le rythme judiciaire se compte par six mois en moyenne, ce qui correspond aux délais d’attente entre chaque étape. Il suffit d’un recours pour prolonger la procédure encore et encore. Si je veux me battre et faire reconnaître mon statut de victime, je dois également apprendre à être patiente.
En attendant, j’avance dans ma reconstruction grâce à une thérapie et, heureusement ou non, ma reconstruction avance plus vite que la justice. Heureusement, car je retrouve progressivement une vie normale sans attendre sur un jugement. Mais ce n’est pas heureux, car à chaque étape judiciaire, je dois replonger dans cette période de ma vie qui me tire vers le fond.
Si la justice allait plus vite, si cette procédure était derrière moi, je me sentirais plus libre et légère pour avancer dans des projets de vie positifs. Au lieu de cela, j’ai un caillou dans ma chaussure en permanence qui m’accompagne dans tous mes choix et mes projets de vie. Et pour autant, ce n’est pas un argument pour baisser les bras. »
– Témoignage d’une victime de violences
L’accompagnement ne remplace pas la Justice. Mais il peut réparer là où le système judiciaire ne le peut pas : dans la relation à soi, dans la perception de sa propre légitimité, dans la possibilité de se reconstruire sans attendre une validation extérieure.
Reconnaître ce besoin, c’est aussi sortir d’une vision exclusivement juridique de la « réparation ».
La reconnaissance au-delà du droit
Ce que cet article met en lumière, ce n’est pas un dysfonctionnement de la Justice, mais une limite structurelle : la loi ne peut pas tout. Elle ne peut pas embrasser la complexité du vécu humain, ni réparer toutes les souffrances. Elle ne peut pas condamner sans preuve, ni reconnaître ce qui échappe au langage juridique.
Mais cela ne signifie pas que les victimes doivent rester seules avec leur douleur. Il existe d’autres espaces de reconnaissance, d’autres formes de réparation, d’autres chemins de reconstruction. Le rôle des institutions, des professionnel·le·s et de la société civile est de les rendre visibles, accessibles et légitimes.
Car au fond, ce que cherchent les victimes, c’est peut-être d’abord cela : qu’on les croie, qu’on les entende, qu’on les accompagne. Même quand la Justice ne peut rien.
Une autre forme de justice : la justice restaurative
Face à ces limites, une approche gagne du terrain : la justice restaurative. Elle ne se substitue pas à la justice pénale, mais elle en constitue un complément possible, centré non pas sur la sanction, mais sur les conséquences humaines de l’infraction, en cherchant à fournir aux personnes touchées une réparation symbolique et une forme de reconnaissance.
En Suisse romande, la justice restaurative peut prendre la forme d’un échange, d’une rencontre (médiation ou dialogue victime auteur), d’un cercle de discussion ou d’un échange avec une personne tierce, pour mettre des mots sur l’expérience, être entendu·e et, parfois, obtenir des réponses.
Cette approche reste encore peu connue du grand public et des professionnel·le·s. Mais elle ouvre des perspectives importantes : dans les cas où la reconnaissance institutionnelle est impossible, elle propose une reconnaissance relationnelle, souvent décisive pour la reconstruction.
« La justice restaurative repose sur l’idée que « rendre justice » implique de mettre l’accent sur les souffrances et dommages qui sont issus de l’infraction, pour tenter de les réparer, en fonction des besoins de celles et ceux qui ont été touchés. C’est une forme de justice qui « se prend » plutôt que d’être rendue par un·e juge ; les processus de justice restaurative donnent un rôle central et actif aux parties, pour autant qu’elles y consentent. Ce sont les victimes et les auteur·e·s qui vont jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre du processus, en déterminant notamment son rythme, son contenu et son issue. »
– Extrait de l’interview de Camille Perrier Depeursinge, Professeure de droit à l’Université de Lausanne et spécialiste de la justice restaurative, à retrouver ci-dessous.
INTERVIEWS
Albane Bruigom • Police
Inspectrice principale à la Police judiciaire de Lausanne, Albane Bruigom est cheffe de l’Unité spéciale pour la prise en charge des victimes (USPV), une structure créée en 2022 visant à améliorer l’accompagnement des victimes au sens large du terme.
Formée à l’École de Police de Lausanne en 1996, elle entame sa carrière dans les unités d’intervention, puis rejoint Police-secours. En 2001, elle intègre la Police judiciaire, où elle effectue une année à la brigade des stupéfiants avant d’être affectée à la brigade des mœurs en tant qu’inspectrice. Elle y est nommée adjointe de brigade en 2006.
Tout au long de son parcours, elle suit de nombreuses formations spécialisées : prise en charge des victimes majeures et mineures, agressions sexuelles, mauvais traitements, typologie des auteur·e·s, ainsi que des cours cadres dispensés par l’Institut suisse de Police.
Aujourd’hui, elle pilote l’USPV, qui a notamment mis en place des suivis pour les victimes de violences domestiques, de conflits au sein de couples ou d’ex-couples (sans distinction de genre), de harcèlement obsessionnel et de harcèlement dans l’espace public.
Dans votre travail quotidien, êtes-vous souvent confrontée à des victimes de violences dont les faits ne peuvent pas, ou pas encore, être poursuivis pénalement ?
Oui, très régulièrement, nous rencontrons des personnes ayant fait l’objet de harcèlement. À travers ce phénomène, il est parfois possible de déposer plainte, mais pas toujours.
Pour vous donner un exemple, lorsqu’une personne reçoit des cadeaux non désirés ou qu’elle se fait suivre dans la rue, il n’y a pas matière au dépôt de plainte. En revanche, si une personne doit en arriver à modifier ses habitudes quotidiennes pour éviter de croiser le harceleur ou la harceleuse, elle pourra alors déposer plainte pour « contrainte ».
Même en l’absence de plainte, nous recevons les personnes qui le souhaitent dans nos locaux « hors murs Police » qui sont situés au centre-ville de Lausanne. Dans ce lieu, nous recevons exclusivement des victimes, qui sont parfois accompagnées d’une personne de confiance.
Comment expliquez-vous la situation à ces personnes ? Que leur dites-vous pour ne pas les décourager ou aggraver leur sentiment d’abandon ?
Depuis 2022, notre Unité gère des situations particulières telles que le « stalking » ou le harcèlement dans l’espace public. Lorsque cela est possible et que la victime le souhaite, nous enregistrons la plainte et effectuons l’enquête qui en découle.
Si le dépôt de plainte n’est pas possible ou que la victime ne souhaite pas déposer plainte, selon la situation, et avec son accord, nous convoquons l’auteur·e à l’Hôtel de Police. Nous allons entamer la discussion pour faire en sorte de raisonner l’auteur·e afin qu’il ou elle cesse d’importuner l’autre personne. Nous travaillons en préliminaire Police et cette méthode fonctionne vraiment très bien. Je précise que nous ne faisons pas de médiation.
Notre but est de faire en sorte que la victime puisse avoir toutes les cartes en main sur ce qui est possible de faire ou pas. Au-delà de l’écoute, il est aussi très important d’identifier, dès le départ, ce que souhaite la victime.
Quelles sont les ressources vers lesquelles vous orientez les personnes en souffrance, notamment quand elles ne rentrent pas dans le cadre légal classique ?
Toutes les victimes qui font appel aux services de Police sont orientées auprès de la LAVI, pour autant qu’elles soient reconnues comme telles.
En ce qui concerne le harcèlement dans l’espace public, pour la plupart des cas, les victimes ne peuvent pas bénéficier de la LAVI. Nous allons donc effectuer un « suivi » dans nos locaux « hors murs Police » afin de les conseiller au mieux.
J’ajoute que notre Unité gère la plateforme harcèlement de rue de la Ville de Lausanne depuis février 2023. Les personnes peuvent signaler des événements, soit de manière anonyme, soit en laissant leurs coordonnées afin que nous les contactions. Peu de cas sont concernés, mais parfois, les personnes ont la possibilité de déposer plainte.
En ce qui concerne les violences dans le couple ou ex-couple, outre la LAVI, nous orientons les victimes auprès du centre d’accueil Malley Prairie et/ou de l’Unité de Médecine des Violences du CHUV pour un éventuel constat, et les auteur·e·s au Centre de Prévention de l’Ale.
Selon vous, qu’est-ce qui fait la différence, dans ces moments-là, pour une victime qui ne peut pas compter sur une reconnaissance judiciaire ?
Tout d’abord, je dois dire que les victimes en général souhaitent en premier lieu que les violences s’arrêtent. Si on prend l’exemple du harcèlement obsessionnel ou des violences domestiques dans les couples ou ex-couples, bien souvent, la victime souhaite que sa vie revienne à la normale. Dans un deuxième temps, il y aura peut-être une volonté pour la victime de déposer plainte, mais pas forcément.
Je pense qu’il est important que la victime qui demande de l’aide et des conseils auprès de la Police se sente écoutée, comprise et rassurée. À mes yeux, il n’est pas possible de répondre à une victime que l’on ne peut rien faire pour elle. Il faut prendre le temps et penser à toutes les pistes envisageables. Je précise que parfois, lorsque nous sommes dans des situations de poursuite d’office, nous n’avons pas la même marge de manœuvre, car nous sommes tenu·e·s d’en référer au Ministère public.
En tant que professionnelle, avez-vous observé une évolution dans la prise en compte de la parole des victimes au sein des institutions policières ?
Oui, depuis 2001, j’ai notamment vu l’évolution dans le domaine des auditions vidéo concernant les abus sexuels et mauvais traitements sur les mineur·e·s, que ce soit dans la technique, dans la manière de procéder ou dans la formation des spécialistes.
Même si tous les policiers et policières sont formés, dans le cadre de leur école de Police, à la prise en charge des victimes, ils et elles bénéficient ensuite de formations continues qui sont notamment dispensées par certain·e·s de nos partenaires.
Ayant commencé ma carrière à la Police il y a maintenant 29 ans, je peux dire que l’approche a évolué dans le bon sens et que les connaissances actuelles ne sont pas comparables avec celles que nous avions à l’époque où j’ai débuté dans le métier. Je pense particulièrement aux violences domestiques et au cycle de la violence, qui est quelque chose d’acquis aujourd’hui.
Dans le contexte actuel, où certaines violences restent sans condamnation, comment voyez-vous l’évolution du rôle de la Police ? Peut-elle, selon vous, aller au-delà de sa mission judiciaire ?
Comme je l’ai expliqué plus haut, le fait de convoquer des auteur·e·s même en l’absence de plainte est déjà une forme de réponse. J’ajoute que cette manière de travailler est nouvelle.
À l’avenir, je pense que nous devrions peut-être former des policiers et policières pour effectuer de la médiation entre les différentes parties. Je me suis intéressée à la justice restaurative et il m’est arrivé de l’aborder avec certaines victimes.
Bien entendu, du point de vue policier, nous souhaitons que les auteur·e·s soient entendu·e·s et déféré·e·s au Ministère public, mais nous devons aussi et surtout tenir compte des volontés des victimes.
Muriel Golay • LAVI
Muriel Golay est directrice du Centre genevois de consultation d’aide aux victimes (Centre LAVI), où elle œuvre depuis de nombreuses années en faveur de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Entre 2003 et 2015, elle travaille au Service de promotion de l’égalité entre femmes et hommes du Canton de Genève, qu’elle dirige ensuite.
Elle s’engage notamment sur les questions d’accès à la justice pour les victimes, en développant des outils concrets comme « Mon journal de bord, pour garder le cap pendant la procédure pénale » (2024) — un ensemble de publications et de vidéos pédagogiques destinées à mieux préparer les personnes concernées au parcours judiciaire.
Que représente selon vous, pour la personne concernée, la reconnaissance du statut de victime par la LAVI ?
Cela dépend beaucoup du contexte des violences et de l’étape à laquelle la personne victime nous consulte.
Si elle vient par exemple après avoir subi une infraction qui a été attestée par un constat médical, qu’elle a été orientée par la Police suite à une intervention sur le lieu de l’infraction ou encore que l’auteur·e a déjà été condamné·e, son attente vis-à-vis du Centre LAVI sera avant tout centrée sur la réception d’informations ayant trait à ses droits et sur les prestations auxquelles nous lui permettront d’accéder.
Si elle arrive au Centre LAVI au tout début de son parcours de demande d’aide, nous sommes parfois les premières personnes auprès de qui certains faits sont déposés. Il sera alors particulièrement important pour elle d’être entendue, crue et validée dans sa souffrance. Le fait que nous mettions avec elle des mots sur ses maux, mais aussi que ces derniers soient normalisés, est également très important. « Je croyais que je devenais folle », entend-t-on parfois de personnes qui subissent des symptômes de stress sévères (hypervigilance, insomnies, souvenirs intrusifs, etc.), à tel point qu’elles n’arrivent plus à mener leurs activités habituelles, sans savoir qu’il s’agit de symptômes bien normaux après un événement violent qui lui, par définition, ne l’est pas.
Recevez-vous beaucoup de personnes qui viennent après un classement sans suite ou qui n’ont pas déposé plainte ? Que cherchent-elles avant tout ?
Il y a peu de personnes qui viennent après un classement de leur dossier par la justice. Les rares cas que j’ai à l’esprit ont fait appel à nous pour savoir si nous pourrions financer un recours (l’assistance judiciaire ne le fait qu’a posteriori). Je pense que cette catégorie de personnes, qui auraient besoin d’un soutien du Centre LAVI à ce moment là, ne sont pas forcément rares, mais qu’elles ne le font pas, soit car elles souhaitent passer à autre chose, soit car elles ignorent notre existence (ou, plus vraisemblablement, qu’elles n’ont pas réussi à comprendre l’information qui leur a été donnée à notre sujet par la Police ou le Ministère public, qui ont tous les deux cette obligation).
Il faut aussi savoir que beaucoup de personnes se présentent sans avocat·e devant les autorités, là aussi faute d’avoir su ou compris notre existence et nos prestations, en particulier le fait que nous aurions pu les orienter vers un·e avocat·e et financer en tout cas les premières démarches liées à la procédure pénale.
S’agissant des personnes qui ne veulent pas porter plainte, je dirais qu’elles représentent une grande partie de nos bénéficiaires. Leur motivation à dénoncer les faits devant la justice pénale dépend de plusieurs facteurs : le type de violence subie et son contexte, leur lien à l’auteur·e, leur situation personnelle (économique et statut de séjour). Au stade où elles nous consultent, leurs raisons de ne pas porter plainte sont principalement la honte, la peur de ne pas être crue, la peur de l’auteur·e ou de porter préjudice à l’auteur·e et/ou à leurs proches, la crainte de la procédure pénale (peu compréhensible, longue, coûteuse, obligeant à répéter les faits), le peu d’intérêt direct envers la procédure pénale pour la victime, surtout si l’auteur·e est insolvable, ou encore l’envie de la personne victime de passer à autre chose.
À l’inverse, les motivations à déposer plainte peuvent être la crainte que l’auteur·e fasse d’autres victimes ou les exigences des assurances susceptibles de couvrir les frais (RC, LAA). Pour beaucoup de personnes, enfin, dénoncer les faits aux autorités tient d’une sorte de logique de l’évidence, voire du devoir, sans imaginer ce à quoi elles vont être confrontées concrètement ensuite.
Pourquoi certaines formes de violence, comme le harcèlement ou l’emprise psychologique, ne donnent-elles pas droit à une aide de la LAVI ?
Le statut de victime exige trois critères : la réalisation d’une infraction au code pénal suisse, une atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’une certaine gravité et un lien de causalité direct entre les deux.
Le harcèlement ou l’emprise psychologique ne sont pas des infractions en tant que telles, définies par un article spécifique du code pénal, et l’impact de ces comportements est encore mal reconnu par la justice.
Cela dit, il y a une amélioration récente à noter au niveau de la jurisprudence, en tout cas en matière de violence conjugale, qui montre que l’impact de la violence psychologique est de mieux en mieux pris en compte par les tribunaux, notamment en matière d’accès au statut de victime LAVI.
Quoi qu’il en soit, la logique est toujours la même : le Centre LAVI analyse les faits, en prenant en compte leur durée et leur répétition, et les met en lien avec l’atteinte qu’ils ont causée sur la personne victime. Nous avons principalement trois articles du code pénal qui peuvent être utilisés pour les violences psychologiques les plus sévères : la contrainte (Art. 181 CP), la menace (Art. 180 CP) ou encore la lésion corporelle simple (Art. 123 CP). En effet, certaines formes de violences psychologiques, les plus intenses, peuvent tomber sous ce dernier article au vu de leur gravité, c’est-à-dire de leur impact sur la santé de la personne qui les a subies.
Dans votre pratique, quelle place occupe l’accompagnement psychologique dans la reconstruction des victimes ?
Notre approche est multiaxiale (psychologique, sociale et juridique), mais nous ne faisons pas de suivi des personnes victimes. Nous les orientons vers des psychothérapeutes et pouvons financer intégralement 10 à 15 séances subsidiairement à la LAMal ou à la LAA, voire plus selon les besoins de la personne victime et sa situation financière. Néanmoins, nos compétences sur le plan du soutien émotionnel sont au cœur de notre concept d’intervention. Nous utilisons beaucoup la psychoéducation et, si besoin, des techniques issues de la psychologie d’urgence.
La plupart des personnes victimes sont preneuses d’une orientation vers une aide psychothérapeutique, surtout si l’exposition à la violence a été longue ou qu’elle a commencé dans l’enfance. Pour certaines infractions, des méthodes comme l’EMDR sont très efficaces. D’autres personnes préféreront des approches plus corporelles. Nous pouvons par exemple prendre en charge des séances de thérapie complémentaire ou la participation à un groupe de paroles. Ces pistes sont très bien accueillies et notre expérience montre que ces démarches diminuent sensiblement l’impact des violences subies sur la santé.
Nous savons par ailleurs que la procédure pénale représente une étape durant laquelle les personnes ont souvent à nouveau besoin de soutien, car elle peut réactiver les symptômes (car elle oblige à devoir se replonger dans les faits, à voir son récit confronté à celui de l’auteur·e, etc.)
Pour répondre à ces préoccupations, nous allons mettre sur pied, à Genève, un groupe de paroles qui sera centré sur les besoins des personnes victimes en lien avec la procédure pénale.
Est-ce que vous constatez une attente de « justice symbolique » chez certaines victimes ? Comment la LAVI peut-elle y répondre ?
Absolument. En premier lieu, il est important de relever l’importance symbolique que revêt le droit pénal et sa bonne application pour les citoyen·ne·s, dans leur sentiment de justice, de sécurité et de respect de l’ordre public. Pour cette raison, le sentiment de ne pas avoir été reconnu·e ou, pire, de ne pas avoir été respecté·e pendant la procédure pénale peut générer beaucoup de colère et de révolte, et bien sûr une grande perte de confiance vis à vis des autorités.
Au contraire, le simple fait d’avoir été entendu·e et traité·e avec respect par ces dernières a déjà un impact très favorable sur le sentiment de reconnaissance de la personne victime.
Nous pouvons aussi orienter, conseiller ou expliquer quelles sont les autres voies possibles au niveau de la justice, comme la justice restaurative ou la médiation (pénale ou non). Mais je dois dire que la plupart du temps, quand nous recevons la personne, celle-ci n’est pas encore du tout dans cette étape. Ces réflexions arrivent souvent plus tardivement et nous ne sommes plus forcément en lien avec elle. Nous abordons ainsi plutôt les questions autour de la plainte (qu’est ce que la personne attend de cette démarche, ce que cela représente, etc.).
Quoi qu’il en soit, s’agissant de notre travail au Centre LAVI, contrairement aux autorités pénales, notre rôle n’est pas d’instruire à charge et à décharge. Nous pouvons donc écouter et valider le vécu de la personne victime, ce qui permet de répondre à son besoin d’être crue et entendue, et favorise naturellement le lien de confiance avec nous.
Voyez-vous évoluer la manière dont la société (ou les institutions) considère(nt) les violences non reconnues par la Justice ?
Absolument. Il est indéniable que la société, d’une manière générale, considère aujourd’hui certains comportements violents comme inacceptables, alors que l’efficacité de la justice formelle, dans les faits, reste limitée en matière de reconnaissance et de protection. C’est particulièrement le cas pour les violences de genre et les violences faites aux enfants.
Cela dit, malgré une meilleure visibilité, de nombreuses formes de violences restent encore, à mon avis, dans l’angle mort de la société. L’inceste est un bon exemple, dont on sait aujourd’hui à quel point la prévalence est grande, alors que le nombre de cas détectés est toujours très faible.
D’une manière générale, il serait nécessaire d’engager plus de moyens pour prévenir la violence, que cela soit par le biais de l’éducation, de campagnes de sensibilisation ou par l’amélioration de la protection des victimes avant que la violence n’atteigne des seuils de gravité trop importants.
Si vous pouviez élargir le champ d’action de la LAVI demain, que proposeriez-vous en priorité ?
En 2023, dans le cadre des 30 ans de la LAVI, la Conférence LAVI de Suisse latine a choisi de thématiser les questions d’accès à la justice sous forme de 15 recommandations (www.lavi30ans.ch). Celles-ci engagent à mener des actions situées à différents niveaux : il s’agirait de réformer la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions, de modifier certaines modalités prévues par la procédure pénale, de favoriser la prise en charge interinstitutionnelle et pluridisciplinaire, d’amplifier les efforts de sensibilisation du grand public, de développer la formation, en particulier vis-à-vis des professionnel·le·s du système pénal, mais aussi des instances civiles concernées par les situations impliquant des victimes au sens de la LAVI, ainsi que des secteurs du social et de la santé.
Selon moi, sous l’angle de la justice, les trois objectifs prioritaires en matière d’aide aux victimes sont de favoriser un traitement empathique et sans jugement tout au long de la procédure pénale, de faciliter l’accès aux informations, dans une forme adaptée et compréhensible, et, enfin, de promouvoir des mesures innovantes et positives en vue de la reconstruction des personnes concernées.
Camille Perrier Depeursinge • Justice restaurative
Camille Perrier Depeursinge est Professeure ordinaire à l’Université de Lausanne. Nommée en 2018, elle enseigne le droit pénal général et spécial, les modes alternatifs de résolution des conflits en matière pénale ainsi que le cours droit pénal de l’environnement. Elle a étudié aux Universités de Lausanne et Zurich, avant de rédiger une thèse sur « La médiation en droit pénal suisse » à l’Université de Lausanne. Elle obtient son brevet d’avocate en 2012 et exerce en cette qualité jusqu’en 2023, dans une étude de la région lausannoise, principalement en droit pénal.
En 2006, elle travaille pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda, en Tanzanie. De 2013 à 2015, elle vit à Mountain View, en Californie. Elle y suit, comme auditrice, de nombreux cours dispensés à l’Université de Stanford et travaille comme accompagnatrice à la California School for the Deaf. Elle contribue à fonder l’AJURES (Association pour la Justice restaurative en Suisse), qu’elle préside depuis sa création en 2015.
Comment définiriez-vous la justice restaurative à une personne qui ne connaît pas ce concept ?
La justice restaurative repose sur l’idée que « rendre justice » implique de mettre l’accent sur les souffrances et dommages qui sont issus de l’infraction, pour tenter de les réparer, en fonction des besoins de celles et ceux qui ont été touchés.
C’est une forme de justice qui « se prend » plutôt que d’être rendue par un·e juge ; les processus de justice restaurative donnent un rôle central et actif aux parties, pour autant qu’elles y consentent. Ce sont les victimes et les auteur·e·s qui vont jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre du processus, en déterminant notamment son rythme, son contenu et son issue.
Dans quelles situations la justice restaurative peut-elle être envisagée ?
Dans toutes les situations à caractère pénal dans un sens large, c’est-à-dire du moment qu’une personne est victimisée par une autre, sans que l’on ait besoin d’avoir un jugement qui reconnaît qu’il y a effectivement eu une infraction punissable. Il faut pour cela que les personnes touchées soient intéressées et consentent à ces processus, et que ceux-ci soient mis en œuvre par un·e professionnel·le (qui informe, prépare et balise l’échange).
Selon vous, qu’est-ce que la justice restaurative peut apporter à une victime que la justice pénale ne peut pas lui offrir ?
Selon moi et selon la recherche en la matière, beaucoup plus de satisfaction ! La reconnaissance de ses souffrances, un espace sécurisé où raconter les faits et se raconter, obtenir des réponses à ses questions éventuelles (« Pourquoi moi ? Comment puis-je éviter que cela n’arrive à l’avenir ? », par exemple), un sentiment de pouvoir récupéré et de dignité restituée.
Comment entamer une démarche de justice restaurative ?
Contacter une association spécialisée dans ce domaine, par exemple l’AJURES (Association pour la justice restaurative en Suisse, ajures.ch) en donnant son canton de domicile et un moyen d’être contacté·e. Une médiatrice ou un médiateur prendra alors contact avec la victime pour un entretien. Les professionnel·le·s déterminent ensuite avec la personne victimisée si un processus de justice restaurative peut lui apporter quelque chose et, si c’est le cas, comment aller de l’avant.
Avez-vous accompagné des personnes pour qui cette démarche a permis une forme de réparation ou de libération, même sans verdict judiciaire ?
Je ne suis pas une praticienne de la justice restaurative. En revanche, je préside une association qui met en œuvre de tels processus pour les parties. Je vous cite les mots d’une victime qui a récemment participé à un tel processus : « Merci de m’avoir accueillie avec autant d’écoute, de tendresse et d’humanité. Merci d’avoir été ces témoins précieux, de m’avoir offert un espace si doux et sécurisant, un espace qui m’a permis de retrouver toute ma légitimité et ma valeur. […] Un nouveau chapitre de vie commence pour moi et c’est aussi grâce à vous. Vous aurez été mes anges gardiens dans cette épreuve et je ne l’oublierai pas. »
Quels freins ou réticences observez-vous chez les victimes ou les professionnel·le·s à l’idée de recourir à la justice restaurative ?
Ce n’est qu’une possibilité que l’on offre – la victime peut ne pas en avoir envie, ne pas se sentir prête ou ne pas vouloir avoir quoi que ce soit à faire avec l’auteur·e. Les professionnel·le·s craignent souvent la victimisation secondaire, c’est-à-dire que l’on fasse plus de mal à la victime que de bien en lui offrant cette possibilité. Pour l’éviter, les processus sont préparés avec soin et de façon individuelle. On préconise également un accompagnement par un·e professionnel·le de la santé (psy).
Comment mieux faire connaître cette approche auprès des victimes et des actrices et acteurs institutionnels en Suisse ?
Le film « Je verrai toujours vos visages », de Jeanne Herry, a joué un rôle important dans la visibilisation de ces processus. Mais nous travaillons auprès des autorités pénales et pénitentiaires, nous expliquons la justice restaurative aux associations d’aide aux victimes, à des psychologues, aux Centres LAVI, etc.
Quels développements ou évolutions souhaiteriez-vous pour renforcer la place de la justice restaurative dans notre société ?
Il faudrait un relais dans la loi pour que les autorités soient plus à l’aise de recommander ces processus aux parties. Il faudrait également que l’État prenne en charge les coûts de ces processus ; actuellement, même si ces coûts sont modérés, notre association dépend de dons de fondations pour que les parties n’aient rien à payer. Il faut également reconnaître le travail des professionnel·le·s de la justice restaurative, qui se forment, se spécialisent et travaillent continuellement en réseau. Enfin, il faut améliorer l’information sur ces possibilités, de manière à ce que toutes les personnes confrontées à une infraction puissent savoir que ces processus sont possibles – l’information doit venir de la police, des centres d’aide aux victimes, des procureur·e·s, juges, prisons, assistance de probation, psys, etc.