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Quand les victimes souffrent une deuxième fois




Une réponse inappropriée des institutions policières, judiciaires, sociales, médicales, mais aussi de l’entourage, peut conduire les personnes victimes de violences à une “seconde victimisation” (ou “victimisation secondaire”), aux effets dévastateurs. Décryptage avec Muriel Golay, directrice du centre LAVI Genève, et sa collaboratrice Céline Vock, psychologue et intervenante LAVI.


Conséquence indirecte des violences subies, la victimisation secondaire est un phénomène qui touche un nombre important de personnes victimes de violences. De quoi s’agit-il exactement?


Le terme de “victimisation secondaire” désigne le fait, pour la victime, d’être confrontée à des réponses qu’elle estime inappropriées ou lacunaires de la part des personnes (professionnel·le·s ou entourage familial/amical) à qui elle se confie ou à qui elle a affaire dans le cadre de sa prise en charge suite au(x) traumatisme(s) subi(s). Il s’agit souvent d’un sentiment de manque d’écoute et de soutien, de ne pas être crue et/ou d’être jugée négativement, de ne pas être prise au sérieux (banalisation) ou de ne pas être informée (impact psychologique, procédure pénale, prise en charge des frais médicaux ou autres frais, etc.).


Cela concerne des comportements inappropriés de proches ou de professionnel·le·s, mais aussi des modalités d’accueil ou des procédures qui mettent à mal la dignité de la victime car elles ne tiennent pas compte de sa fragilité et de ses besoins, notamment de protection. Il peut s’agir, par exemple, d’être forcée à répéter de nombreuses fois les faits qui se sont produits, d’être soumise à des questions très intrusives sur son intimité ou d’être confrontée précocement ou inutilement à l’auteur·e des faits.



Cela concerne des comportements inappropriés de proches ou de professionnel·le·s, mais aussi des modalités d’accueil ou des procédures qui mettent à mal la dignité de la victime car elles ne tiennent pas compte de sa fragilité et de ses besoins, notamment de protection.



De quelle manière cette seconde victimisation impacte-t-elle les victimes?

Ne pas s’être sentie traitée et soutenue adéquatement peut engendrer des réponses différentes, variant en fonction des caractéristiques contextuelles, intrinsèques et du vécu de la personne. En effet, la victimisation secondaire apparaît dans un contexte où la victime est déjà en proie à un important chamboulement post-traumatique pouvant toucher toutes les sphères de sa vie. Elle est souvent en état de choc ou “post-choc”, ne se reconnaît plus forcément dans son fonctionnement lorsqu’elle se compare à l’avant-trauma et ne comprend pas toujours ses réactions. Elle peut aussi être confrontée à des sentiments d’impuissance et de vulnérabilité importants, encore exacerbés par la peur face à l’inconnu (évolution de sa situation au niveau psy/médical, juridique, social, professionnel, privé, etc.). L’impact de la victimisation secondaire dépend de l’influence de ces différentes variables. Nous décrirons ci-après les conséquences les plus rapportées lors de nos consultations.


Les faits reprochés révèlent le plus souvent que la réponse apportée a été inadéquate par rapport aux besoins fondamentaux de la victime (d’être entendue, crue, soutenue, reconnue, protégée, d’avoir accès à la Justice, d’être indemnisée) ou que la personne n’a pas été traitée avec suffisamment d’égard ou de respect. Cela peut engendrer ou renforcer un grand sentiment d’injustice, particulièrement douloureux, alors que la victime doit déjà assumer toutes les conséquences de l’infraction qu’elle a subie.


Ce sentiment d’injustice peut également être très fortement (ré)activé si l’auteur·e ne reconnaît pas les faits dénoncés ou que le système pénal ne répond pas au besoin de réparation de la personne victime, ou encore si l’indemnisation est refusée. Il peut aussi s’agir de procédures qui “violentent” la victime en ne prenant pas suffisamment en compte son état transitoire de fragilité et son besoin de protection (si une médiation pénale est imposée, par exemple). Cette confrontation avec la réalité des procédures, notamment, peut être très violente et augmenter le sentiment d’impuissance et de vulnérabilité de la personne déjà fragilisée par le(s) trauma(s) subi(s). L’accompagnement, le soutien et les informations fournies joueront un rôle protecteur.



La victimisation secondaire peut provoquer chez la victime une perte de confiance en la capacité de soutien de la personne ou de la structure concernée, mais aussi exacerber ou réactiver certains symptômes du psycho-traumatisme et avoir un impact important sur sa santé.



Cela peut ainsi provoquer chez la victime une perte de confiance en la capacité de soutien de la personne ou de la structure concernée, mais aussi exacerber ou réactiver certains symptômes du psycho-traumatisme (sentiments de faute, de honte, de rejet, d’isolement, etc.) et avoir un impact important sur sa santé. La perte de confiance engendrée peut être particulièrement dommageable, par exemple lorsque cela entraîne la personne à renoncer à demander de l’aide, que ce soit auprès du réseau professionnel ou privé.


Comment la LAVI accompagne-t-elle les personnes confrontées à cette problématique?

Un des objectifs lors de la mise en place la loi LAVI était de donner à la personne victime une place et des droits spécifiques dans la procédure pénale, ainsi qu’une possibilité d’obtenir une indemnisation si l’auteur·e des faits devait être introuvable ou insolvable. La personne victime est reçue par une équipe de psychologues formé·e·s à la prise en charge et au soutien des personnes victimes.


La prise en charge du Centre LAVI vise à fournir une réponse aux premiers besoins de la personne victime, notamment en termes de :

  • soutien psychosocial et accompagnement (également dans les différentes étapes de la procédure pénale);

  • informations (sur le psychotraumatisme, la procédure pénale, les droits spécifiques aux victimes – notamment la possibilité de ne pas être confrontée directement à l’auteur·e des faits –, l’indemnisation, les assurances, etc.);

  • prestations financières urgentes selon les situations (hébergement, dépannage financier, frais médicaux, etc.) ;

  • activation/orientation auprès d’un réseau de professionnel·le·s spécialisé·e·s selon les besoins identifiés.


Il est également essentiel d’explorer les attentes inexprimées de la personne victime et de les discuter avec elle, car elles seront très importantes dans son processus de reconstruction. Il peut en effet y avoir pas mal de déceptions à venir pour elle, que cela soit en termes de durée de l’impact (réactions post-traumatiques ou lésions), dans la réalité de la procédure pénale, sa longueur ou les condamnations, par exemple.



Explorer les attentes inexprimées de la personne victime et les discuter avec elle est très important dans son processus de reconstruction. Cela permet aussi de redonner un sentiment de contrôle et de mettre du sens sur les réactions pendant et post-trauma.



Cela permet aussi de redonner un sentiment de contrôle et de mettre du sens sur les réactions pendant et post-trauma, sur ce qui peut être ressenti actuellement et sur les étapes à venir. En tous les cas, l’écoute, le soutien et l’accompagnement de la personne victime se déroulent dans un climat de confidentialité et de non-jugement.


Lorsqu’une personne nous rapporte un récit de victimisation secondaire, nous prenons son témoignage au sérieux et selon la gravité des situations, remontons les faits lors de nos colloques ou à notre hiérarchie qui peut, par exemple, faire le lien avec les professionnel·le·s concerné·e·s.


Dans la pratique, comment les différentes institutions pourraient-elles mieux respecter les droits des victimes et contrer la victimisation secondaire, souvent involontaire et inconsciente?

C’est une vaste question, merci de l’avoir posée ! Nous n’avons pas vraiment de réponse magique... Sachez qu’un colloque sera organisé en 2023 sur l’accès à la Justice et ce sujet sera certainement abordé.


Essentiellement, il s’agit d’augmenter la formation/sensibilisation des professionnel·le·s (de la chaîne pénale en particulier, mais pas seulement) sur l’accueil, les modalités d’information, de soutien, les réponses aux besoins et le respect du droit des victimes.



Illustration Elena Medvedeva | iStockPhoto


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