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Relations toxiques et phénomènes d’emprise




Les relations toxiques avec un manipulateur ou une manipulatrice (les tristement fameux pervers narcissiques) sont extrêmement violentes et destructrices pour les personnes qui en sont victimes, et il est très difficile de s’en libérer. Que ce soit au sein du couple, de la famille, en amitié ou dans un cadre professionnel, comment les phénomènes d’emprise se mettent-ils en place ? Comment en sortir ? Anna Assef-Vaziri, psychologue-psychothérapeute FSP, spécialiste en TCC (thérapie cognitivo-comportementale) et experte sur le sujet, nous donne des clés pour mieux comprendre.


Qu’est-ce qu’une personne manipulatrice et qui sont ses victimes ?

D’abord, il faut clarifier les termes. Est-il question d’un manipulateur ou d’un pervers narcissique (PN) ? Les manipulateurs sont parmi nous, pour reprendre le titre du livre d’Isabelle Nazare-Aga.

Le pervers narcissique, le PN, c’est une autre paire de manches. S’il possède obligatoirement les caractéristiques de tout manipulateur, comme l’égocentrisme, l’utilisation de l’autre en tant qu’objet, l’incapacité à assumer ses responsabilités, la culpabilisation, la victimisation, le renversement des rôles, le besoin d’avoir toujours raison, l’incapacité de se remettre en question, etc., il possède une autre caractéristique que l’on ne trouve pas chez le manipulateur “ordinaire”, qui peut manipuler par la séduction pour être aimé, reconnu, admiré par exemple, et qui est bien souvent inconscient de ses attitudes et de ses actes. Ou, s’il est, ce n’est que partiellement.



Le pervers narcissique manipule sciemment pour utiliser l’autre à ses propres fins. C’est un stratège, un planificateur, sans empathie et sans compassion. C’est un psychopathe qui se cache. Il est obligatoirement sadique et se réjouit du malheur de l’autre.


Non, le PN va plus loin que ça. Il manipule sciemment pour utiliser l’autre à ses propres fins, l’autre est traité comme un pion sur un échiquier. C’est un stratège, un planificateur, sans empathie et sans compassion. C’est un psychopathe qui se cache. Il est obligatoirement sadique et se réjouit du malheur de l’autre. D’autant plus si c’est lui qui inflige cette souffrance, car cela lui donne encore plus de pouvoir. Son but est de posséder l’autre, de le dominer pour en faire son jouet. Et pour cela tous les moyens sont bons. Il est bien évidemment dépourvu de conscience morale et est persuadé d’avoir tous les droits.


C’est un être complexe, paradoxal. Il ne choisit pas ses proies par hasard. Tel un chasseur, il lui faudra un trophée qui en “vaille le coup” ! Quel est l’intérêt d’écraser une fourmi ? Alors qu’il est équipé pour tuer un lion ! De la même manière, le PN, vide de toute vie intérieure, cherchera sa proie parmi les personnes qui possèdent ce dont il est lui-même dépourvu : la vitalité, l’énergie positive, une vie intérieure riche, des intérêts multiples, des talents, de l’intelligence… si possible dans un paquet incluant la beauté et l’argent. Bref, des personnes avec des ressources.


Mais, au moment de la rencontre, il détectera une certaine fragilité chez sa future proie, qui peut être temporaire ou permanente. Il va s’en servir jusqu’à la corde et, à la fin d’une relation avec un PN, sa proie se trouve anéantie, dépouillée de l’énergie dont elle disposait, sans envies ou intérêts, sans ressources. Elle se décrit souvent comme “l’ombre d’elle-même”. Car, à la différence du chasseur qui tue sa proie, le PN fera tout pour la maintenir en vie. D’abord parce qu’il en a besoin pour remplir son vide intérieur, ensuite parce que grâce à sa proie, il peut donner libre cours à son besoin de destruction, à son sadisme. Pour pouvoir continuer à torturer, suivant le cas, en toute impunité.


Comment l’emprise s’installe-t-elle ?

C’est en jouant sur la fragilité, temporaire (séparation, divorce, chômage…) ou permanente (manque d’estime de soi, besoin d’être aimée, besoin d’être protégée…) de sa proie et en s’en servant pour déployer ce qu’il faudra pour soi-disant l’aider ou, en tout cas, “être quelqu’un sur qui on peut toujours compter”.


La place hiérarchique occupée par le PN a également son importance et toute situation de dépendance sera exploitée. Les rôles sont de facto inégaux. Rappelons que le PN a besoin de pouvoir, donc il lui faut un soumis. Un PN n’a pas la moindre idée de ce que signifie une relation d’égal à égal.



Le pervers narcissique dépassera toujours les limites, il en fera toujours trop. Et trop vite. Et la proie s’en trouvera flattée, aimée, admirée, réconfortée dans son estime d’elle-même.



Le PN dépassera toujours les limites, il en fera toujours trop. Et trop vite. Et la proie s’en trouvera flattée, aimée, admirée, réconfortée dans son estime d’elle-même… Dans une relation intime, il abreuvera sa proie de flatteries, d’attentions, de cadeaux, de fleurs, de voyages… dans une relation professionnelle, ce sera l’octroi de passe-droits, de secrets, de complicité du genre “parce que c’est vous”… dans une relation “amicale”, ce sera une complicité du genre “ tu es différent” et la médisance des autres amis, la triangulation pour monter les uns contre les autres. Et le tout toujours accompagné de renversement des rôles, de victimisation (de lui) et de culpabilisation de l’autre.


Pourquoi est-il si difficile pour une personne victime de telles violences de mettre fin à la relation toxique ?

Pour les mêmes raisons qui l’ont fait tomber dans le piège. La proie a tellement envie d’y croire. Et n’arrive pas, dans un premier temps, à réaliser que cette personne si parfaite, le PN donc, puisse aussi être une personne qui lui veut du mal. Cela prend du temps à réaliser. D’autant plus que le PN, pour maintenir sa proie en sa possession, distille un savant mélange d’attaques et de “gentillesses”.


Mais aussi parce que cette alternance induit de la confusion. La proie se trouve en quelque sorte “en fin de course”, épuisée par ces montagnes russes émotionnelles et une confusion mentale où elle ne sait plus qui en est responsable. Même face à des évidences.


Il ne faut pas non plus négliger les stratégies de renversement des rôles, de victimisation (du PN) et de culpabilisation (de la proie), dont le PN usera tant que dure le lien et qui maintient la proie dans un état de soumission. Et une estime de soi en dessous de zéro, qui rendra difficile une action constructive.


Une fois que l’on a pu se libérer de l’emprise, quelles sont les étapes pour se reconstruire ?

D’abord, en prendre conscience, pleinement. Revoir en détail tout ce qui s’est passé et comprendre qu’il s’agit bien d’un lien toxique. Jusque-là, la stratégie de survie a consisté en une banalisation de la situation, voire en un déni.



Il est important de réaliser qu’au moment de la rencontre, l’attitude du pervers narcissique résonnait avec quelque chose qui était peut-être profondément enfouie. Il peut s’agir d’un besoin permanent non comblé, comme un besoin d’affection ou de reconnaissance, qui a pu perdurer depuis l’enfance.



Ensuite, il faut être au clair avec toutes les stratégies utilisées, en faire la liste et être capable de détecter d’une façon générale les signaux oranges et rouges. Et apprendre comment contrer ses stratégies, si on se trouve devant un PN ou même un “simple” manipulateur.


Il est aussi important de réaliser qu’au moment de la rencontre, l’attitude du PN résonnait avec quelque chose qui était peut-être profondément enfouie. Là, il peut s’agir d’un besoin permanent non comblé, comme un besoin d’affection ou de reconnaissance, qui a pu perdurer depuis l’enfance. Ceci est, dans ma patientèle, toujours le cas. Peut-être que dans d’autres cas non. Mais le questionnement sur ses propres besoins est toujours nécessaire.


Quoiqu’il en soit, l’estime de soi a été sévèrement endommagée et il s’agit de la restaurer. D’abord par des moyens simples : sortir, voir du monde, commencer une nouvelle activité, reprendre confiance en soi, s’entourer de personnes bienveillantes. Le tout aidera à se couper de tout lien de dépendance.


Si cela ne suffit pas, il faudra consulter un psychothérapeute. Parfois, une reconstruction quasi totale sera indispensable pour ne plus jamais retomber dans les griffes d’un PN.


Et si l’on doit maintenir un certain lien malgré tout, par exemple quand on partage la garde d’enfants mineurs ?

C’est la situation la plus difficile. Le mot d’ordre serait “détachement émotionnel”. Il est difficile d’y arriver. Mais si on est au clair sur les raisons d’agir du PN, le rôle que l’on a joué malgré soi dans le maintien de la situation, ses propres besoins, ses limites et que l’on a appris comment ne pas tomber dans le piège, on devrait y arriver. Détachement signifiant ne pas laisser de prise. Ni se mettre en position de soumission, parce que le PN en profitera, ni rentrer dans la guerre, parce que le PN gagnera toujours. Mais défendre, calmement, ses droits.



On s’en sort, si on le veut vraiment et que l’on s’en donne les moyens. Une fois que le travail de fond a été fait et que la personne retrouve confiance en elle, elle s’envolera. Forcément plus forte qu’avant.



Si l’on n’a pas ressenti le besoin de contacter un psychothérapeute avant, ce pourrait être le moment. Au moins pour apprendre les techniques de base d’affirmation de soi. Et bien sûr qu’il faudra s’adjoindre les services d’un avocat, spécialiste en PN.


Un message d’espoir à adresser aux personnes qui sont ou qui ont été victimes d’une relation toxique ?

On s’en sort, si on le veut vraiment et que l’on s’en donne les moyens. Le mieux est de s’entourer de professionnels qui sauront comment aider. Et, partant de l’idée que les proies des PN ont beaucoup de ressources intérieures, une fois que le travail de fond a été fait et que la personne retrouve confiance en elle, elle s’envolera. Forcément plus forte qu’avant.


N.B. Pour des raisons de simplification, j’utilise le genre masculin pour désigner le PN, et le féminin pour la proie. Bien évidemment, cette problématique n’est pas liée au genre.



Illustration tatianazaets | iStockPhoto

 
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